Marie Kehdi

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Marie Kehdi

Le Gers est un territoire touché par la grâce. Quelques petits ruisseaux déversent leurs flots nourriciers aux creux de vallées dont les versants se parent d’une végétation tout en tendresse. Rien n’est exagéré, tout est à portée de main, même les vents ne veulent pas bousculer cette harmonie. Çà et là quelques expressions rocheuses viennent dévoiler un sous-sol fertile et rocailleux, montrant le chemin aux bâtisseurs. Une campagne qui quand on sait la regarder n’est autre qu’une offrande perpétuelle… 

Héloïse coupe brutalement la radio, trop affectée par autant de vérité. Brice dormant à poings fermés, ne s’est strictement rendu compte de rien. Nos deux acolytes étaient en route depuis xxx petite minute, bien décidés à honorer cette rencontre. Direction La Romieu, où vit une praticienne Chamanique, Marie Kehdi. 

Un nid de poule, parfaitement ajusté, réveille enfin le ronfleur du val au grand soulagement d’Héloïse. Les voilà sur le seuil d’une belle maison, ouverte façon parenthèse, plein sud, comme pour mieux y garder la chaleur de l’astre. 

Bruit de graviers concassés par la tonne de taule motorisée, portes qui se ferment, mots indéfinis, porte qui s’ouvre avant sonnette 

Brice (fier comme d’Artagnan) : Namaste 

Marie : Bonjour ! 

Héloïse : Bonjour Marie 

Ils s’avancèrent comme irradiés de lumière, les baies vitrées devaient y être pour quelque chose 

Héloïse : On ne va pas y aller par quatre chemins… 

Brice « Géographe » : Très simple, contourne la table, tu trouveras une chaise… 

Héloïse : Merci mon guide… On doit vous avouer que nous sommes en l’attente de pas mal de réponses. 

Marie : C’est un bon début. Tâchons d’y donner une suite convenable. 

Brice : Une petite brève pour lancer notre échange : si tu tournes sans arrêt à gauche, tu finiras par arriver par la droite !  

Héloïse : Hum quelle belle suite….  Attaquons frontalement si je puis dire, comment rencontre-t-on cette vocation, le chamanisme ? 

Marie : Être praticienne chamanique a été un chemin long, qui ne s’arrête jamais. D’abord il y a « l’appel ». Un moment dans une vie, où l’on ressent qu’une nouvelle nécessité a fait corps. Le matériel qui occupe une partie majoritaire dans nos vies ne me suffisait plus, j’avais besoin d’aller voir de l’autre côté du miroir. 

Brice : Ne pas se fier aux apparences, car elles sont trompeuses, j’en ai fait mon crédo… Apprendre à voir au-delà, repousser les frontières du perceptible quel bel enjeu… Car(o)l Lewis a rebattu les cartes du 100m. Lewis Caroll nous a fait traverser le miroir en compagnie d’Alice. Les frontières de la perception sont à reconsidérer et ces Lewis nous montrent le chemin… Et vous quelle frontière avez-vous franchi ? 

Marie : Elle s’appelle l’Océan Atlantique, nous l’avons survolée depuis la Californie en direction du sud-ouest français. Notre installation dans le Gers remonte à 1995. Alors, mon mari et moi lançâmes une entreprise d’hydroponie. Nous proposons des outils de culture et de jardinage pour produire des fruits et légumes de qualité. Aujourd’hui, Terra Aquatica compte 35 salariés et nous comptons passer le témoin sous forme de Scoop, laissant derrière nous une activité rentable, durable et valorisante. Peu de temps après notre arrivée, comme je vous l’expliquais, je voulais aller plus loin. 

Brice : Allez plus haut ! 

Héloïse : Chronologiquement, comment vous avez « approché » le chamanisme ? 

Marie :  La lecture de nombreuses publications, livres, et puis des portes qui s’ouvrent … 

Brice (géographe à cheval) : La défense de nos frontières est au cœur de nos enjeux contemporains. 

Héloïse : Sens figuré ! Sens figuré « Brice Terre-à-Terre » !… Puis il a fallu, franchir le pas ?   

Marie : Je l’ai franchi et suis allée à la rencontre de Eirik Myrhaug, chamane Sami en Norvège issu d’une longue tradition ancestrale. Durant 5 ans, j’allais régulièrement suivre ses enseignements. Pendant plus de 4 ans je suis restée dans le noir, n’ayant aucune des visions que tous les autres rencontraient. Puis lors de notre dernier travail en Norvège, aux sources du chamanisme Sami, j’ai pu enfin pénétrer dans ce monde du rêve. Un travail long, à l’aveugle, mais enfin fructueux. S’en est (sont) suivi 10 ans de formation supplémentaire auprès d’autres « mentors », en particulier auprès de la FSS (Foundation for Shamanic Studies fondée en Californie par l’anthropologue Michael Harner, pour un jour être « autorisée » à exercer par Laurent Huguelit. 

Héloïse : Ne pas savoir où l’on va ce qu’on va y trouver mais continuer, vous auriez pu découvrir le nouveau Monde en 1492 ! 

Marie : J’en viens, avant d’être dans le Gers nous étions en Californie.  

Brice : Le Soleil réunit ces deux entités géographiques, il y a d’ailleurs un Beaumont là-bas, et ici un Beaumont-de-Lomagne, il n’y a pas de hasard ! 

Héloïse : On n’arrête pas notre Géographe, quel puits de savoir, à quand la prochaine conférence ! Pour vous trouver Marie, on a « surfé sur les internets » à l’aide de notre IBM, et donc pu visiter votre site internet. Les pages s’y affichent et de clic en clic on avance comme dans un classeur, mais virtuel… 

Brice (surgit) : Dedans, j’ai pu écouter du tambour et voir des tableaux, mélanges de chimères, animaux fantastiques, voutes célestes… J’ai eu l’impression de saisir comme un tout harmonieux, qui finalement bouge et vit à l’unisson. Mais le tambour, pourquoi pas l’accordéon ? 

Marie : Parmi la myriade de pratiques chamaniques, le tambour est l’un des objets majeurs permettant d’accéder à la transe, ce que nous appelons le « monde non ordinaire ». Un état de conscience modifiée, que l’on ne situerait ni dans le réel ni dans le rêve mais à la frontière des deux. Grâce aux fréquences vibratoires qu’il émet, il nous permet de rentrer dans cet entre-deux mondes. Par ce biais-là, nous pouvons remonter vers nos problématiques profondes, répondre à des questions insolubles, rencontrer nos blessures familiales ou collectives…etc. Le chamane agit en accompagnateur pour évoluer sans encombre dans ce monde non cartographié.  

Héloïse : Un imaginaire très forêt primaire m’assaille, entre géographie et protohistoire ! Comme c’est exaltant ! Sur un planisphère où sont les Chamanes ? 

Marie : En vrai, s’il y a bien une pratique que l’on retrouve dans toutes les civilisations, c’est le chamanisme. Au sud de la Sibérie, en Indonésie, aux Antilles, en Amérique Centrale, du Nord, en pays Scandinave, en France, pour vous citer les exemples qui émaillent mon parcours personnel. Vieux comme le monde ou presque, le chamanisme détient un fond commun identique, et une forme différente en fonction de l’environnement dans lequel on se trouve. 

Brice : Un toit en Montagne est pentu et d’ardoise, ici en Lomagne, à La Romieu il est moins incliné et en tuile canal. Au final, la fonction reste la même, éviter que le ciel nous tombe sur la tête… 

Héloïse : Notre géographe, se fait architecte et druide maintenant ! Décidemment on va de nénuphar en nénuphar dans la grande mare du savoir ! Vous parliez de forme différente, dites-nous-en plus. 

Marie : D’une région à une autre l’environnement n’est pas le même, donc les rites ne sont pas réalisés de la même manière. D’autres nuances font varier les pratiques, mais globalement il y a une unicité. Partout, on retrouve des méthodes de travail traditionnelles identiques. Ça en est troublant ! En chamanisme, cette concordance est une preuve de l’existence de ces forces, ces énergies qui œuvrent. Reste à tout équilibrer, c’est là qu’intervient le Chamane, ou la Praticienne Chamanique. Je fais le distinguo car l’un est de lignée chamanique, l’autre non. 

Héloïse : Les gens que vous accueillez le temps de quelques jours, que font-ils ? 

Brice : Je dirais même plus que font les gens que vous accueillez ? 

Marie : Ils viennent par curiosité, pour une multitude de raisons ; se libérer d’un poids intérieur, ouvrir leur savoir-faire professionnel à d’autres horizons, etc. À chaque fois, je suis là pour les accompagner à travers leur recherche, au cours de différents ateliers. Un fil rouge revient souvent c’est l’usage du tambour. Sa vibration, la rythmique répétée agit de la même façon que certaines plantes puissantes.  

Un autre outil de travail chamanique connu dans toutes les traditions (Inipi, Temazcal, sweatlodge), c’est la hutte de sudation. Elle se trouve un peu plus loin dans notre jardin, à l’Est de la maison. Cette hutte est un espace cérémoniel dont le but est d’apprendre à dépasser ses limites, et à lâcher prise. On y rentre comme dans le ventre d’une mère, on y « meurt et on y renaît ». Mes hôtes rentrent dans cet espace assez exigu, que l’on chauffe et plonge dans le noir absolu. Comme un foyer (?) surgit des étincelles ou plus de l’esprits de chacun, s’y révèlent des expériences enfouies douloureuses ou joyeuses. 

Brice : Une bonne suée ça remet bien les idées en place. 

Marie : En d’autres termes c’est un peu çà. 

Héloïse : Il y a des voyages formateurs, d’autres chers et ici ils semblent au-delà. C’est intriguant et fascinant de savoir qu’il y autant à découvrir juste là, en nous. 

« Brice Terre-à-terre » tente de rejoindre son plastron avec son menton  

Marie : Plonger en soi peut être difficile, nous sommes là pour aider, puis harmoniser et rééquilibrer. 
Durant mes stages, j’accueille maximum 12 personnes, un gage de travail personnalisé. J’ai mis des années à me lancer… Depuis 2017, je propose différents accompagnements. Il y a un « Mantra » qui illustre bien mon action et plus largement la pratique chamanique : Le Chamanisme est universel, libre, et simple. Une évidence, mais qui permet de décongestionner pas mal d’appréhensions. 

Héloïse : Depuis plus de 20 ans vous êtes versé dans le Chamanisme, votre apprentissage continue ? 

Marie : Plus que jamais. Depuis quelques années, je travaille, partage et apprends auprès de Bhola Bantsola, chamane népalais. Il a derrière lui 26 générations d’aïeuls pratiquants ! 

Sur cette vision vertigineuse du temps qui s’écoule, s’étire puis se raccourcit brutalement… Nos compères décidèrent de prendre congés de Marie. 

Qui étaient-ils ? Personne n’aurait pu reconnaître ces deux personnes au volant du Peugeot Partner électrique. Le regard astigmate mais plongé au lointain, remplis de paradoxes, de questions et de réponses Héloïse et Brice roulaient. Leurs routes ne faisaient que commencer. Marie continuerait de les accompagner au moins 7min, avec Huun-Huur-Tu… et probablement encore après. 

Pour en savoir plus :  

Site internet : https://kanoontami.com/qui-je-suis/ 

Littérature : Mama Éditions ; Mon initiation chez Les Chamanes – Corine Sombrun